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Valérie Pécresse : « Je suis 2/3 Merkel et 1/3 Thatcher »

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Le Point : Qui êtes-vous Valérie Pécresse? La question peut paraître surprenante mais elle se pose réellement. Pour beaucoup, vous auriez toute votre place au sein de l’aile droite de la Macronie. Il y a donc derrière notre question, celle de votre différenciation politique…

Valérie Pécresse : Nous avons des logiciels politiques opposés. Emmanuel Macron était proche du parti socialiste. Je suis une gaulliste de toujours. Des deux côtés de ma famille, à Paris ou dans les Alpes, on était résistant. La mythologie gaulliste a toujours été présente dans mon histoire. Mes grands-parents étaient liés à André Malraux et Romain Gary. A travers eux, j’ai vu à quel point le gaullisme, c’était l’amour de la France. Cela m’a construite. Et quand, comme moi, vous êtes née un 14 juillet, vous avez un rapport singulier à la Nation.

Quelle est pour vous la date fondatrice de l’histoire de France ?

Je pourrais citer l’avènement d’Hugues Capet ou la bataille de Bouvines, mais la date qui m’inspire, c’est le 14 juillet 1790, la fête de la fédération. Le 14 juillet 1789 est l’emblème de la révolution avec aussi sa part de violence. Un an après, toutes les régions de France se rassemblent pour former une Nation. Si la gauche s’est appropriée l’idée de révolution, je voudrais que les Français célèbrent aussi cette fête de la réconciliation.

Quelle est votre définition du gaullisme ?

De Gaulle, pour moi, c’est d’abord une figure d’autorité. C’est pourquoi sur tous les sujets régaliens -sécurité, justice, immigration-, un fossé me sépare d’Emmanuel Macron. C’est aussi un visionnaire et un réformateur : dès le discours de Bayeux en 1946 De Gaulle propose une nouvelle constitution avec un pouvoir fort, et, en 1958, il reprend les rênes d’une République moribonde pour la reconstruire de zéro. J’aime également le bâtisseur, qui rassemble les forces vives pour créer la sécurité sociale.

La « droite moderne » que vous dites vouloir incarner n’est-elle pas à une sorte de « en même temps » ?

Non, la droite moderne c’est une droite qui projette ses valeurs fondatrices d’autorité et de liberté, mais aussi de travail, de justice, dans la France de 2030, avec des solutions adaptées au monde contemporain. On ne peut pas me dire conservatrice ni progressiste : je suis profondément une femme d’ordre et une réformatrice. Aujourd’hui j’ai la conviction qu’ « il faut tout changer pour que la France reste elle-même » pour paraphraser la célèbre phrase du « Guépard » de Lampedusa. Je crois à l’innovation et au progrès, notamment au progrès social.

Qu’est-ce donc le « pécressisme » ?

Une bonne dose d’autorité, une bonne dose de liberté et une part importante de justice. Je suis au barycentre des trois droites que décrivait René Rémond. C’est pour ça que j’étais à l’aise quand le RPR, l’UDF et Démocratie libérale ont fondé l’UMP. J’avais envie que ces trois droites se retrouvent dans une même famille.

Que voulez-vous bâtir en cinq ans, et comment ?

Beaucoup de candidats à l’élection présidentielle se sont concentrés sur la conquête du pouvoir plutôt que sur son exercice. Ce temps est révolu. Le dernier président qui était prêt à exercer le pouvoir c’est Nicolas Sarkozy. Pour 2022, je me prépare déjà pour « faire », et c’est la grande différence que j’ai avec les « diseux » Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Les valeurs de la droite sont devenues centrales dans la société. Il serait donc paradoxal qu’elles ne soient pas incarnées par quelqu’un de sincèrement de droite, qui ne pratique pas la godille politique. Marine Le Pen affiche un recentrage de façade. Et le « en même temps » Macroniste, ce sont des mots de droite avec des solutions de gauche. Ca ne mène qu’à l’immobilisme.

« Faire » était le titre d’un livre de François Fillon…

Absolument. J’ai d’ailleurs relu tous les programmes de 2017 pour regarder leur actualité aujourd’hui. J’ai une furieuse envie de faire les réformes qui depuis dix ans ont été repoussées… il y a beaucoup de choses à reprendre, mais la société post Covid n’est plus la même. Par exemple sur la suppression des 35h, la généralisation du télétravail change la donne. Il faut repenser le travail totalement. Je fais de la politique par la preuve. J’ai beaucoup innové dans ma région : sur le travail, l’éducation, ou l’écologie. A la fin, je veux que les français se prononcent projet contre projet.


Est-ce suffisant pour rassembler « l’archipel français » diagnostiqué par Jérôme Fourquet ?

Le sujet central est de savoir comment recoudre la Nation française, comme la définissait Ernest Renan. Comment nous redonner envie de vivre ensemble et d’avoir un destin commun ? Pour bâtir mon projet présidentiel, je me projette DANS la France de 2030. Si l’on ne fait rien, c’est une France qui va vieillir, avec une chute des naissances depuis 10 ans que la Covid a accentuée. Laure Adler décrit dans « la voyageuse de nuit » cette France qui prend de l’âge et tous les défis auxquels elle est confrontée. Le renouvellement des générations est source d’équilibre pour un pays, et pas seulement pour ses comptes sociaux ! Or, plus personne ne parle de politique familiale, alors que c’était une fierté française enviée en Europe: permettre aux femmes de France d’avoir les enfants qu’elles souhaitent et de travailler en même temps. Il y a 20 ans Thomas Piketty relevait déjà qu’1 million d’emplois de services en France pourraient être créés si les salaires y étaient plus élevés. Cela passe notamment par le doublement de la défiscalisation des emplois de service à la personne que la gauche a complètement sabrée.

Vous voulez, dîtes-vous, « restaurer la fierté française ». Ce slogan de campagne, Macron l’a déjà utilisé en 2017…

C’est mon ambition depuis la lecture en 2013 de « l’identité malheureuse » d’Alain Finkielkraut. S’engager en politique, c’est porter un espoir, un volontarisme. On ne peut pas répéter en permanence que la France va tomber. Je veux redresser le pays. Une France fière, c’est d’abord un pays dont les lois sont respectées. Impossible avec une justice totalement saturée, dont les moyens sont deux à trois fois moindres que chez nos voisins, incapable de juger vite ni de sanctionner efficacement. C’est ce que rappelle la tragédie de l’assassinat du père Olivier Maire. Nous sommes le pays champion du monde des impôts, nous devrions avoir des services publics champions du monde. Justice, éducation, protection de nos frontières, santé…je veux tout remettre à plat.

Nous sommes à quelques kilomètres d’Egletons où Chirac en 1976 a présenté son « travaillisme à la française ». Reprendriez-vous ce canevas idéologique ?

Le travail oui, le travaillisme non ! Je suis plutôt 2/3 Merkel et 1/3 Thatcher… Fernand Braudel a théorisé l’identité française : une Nation une et indivisible, soudée par sa langue, un Etat fort mais aussi une absence totale d’intérêt pour l’économie ! J’ai fait des études de commerce. Pour moi, l’économie, ce n’est pas l’intendance. Les pays qui portent aujourd’hui une vraie fierté nationale sont ceux dont l’économie marche bien. Les Etats-Unis, la Chine et l’Allemagne en ont fait une arme. L’alpha et l’oméga de l’économie, ce n’est pas la dépense publique et un keynésianisme qui se déploie à l’infini, en creusant les déficits et la dette, pour les léguer aux générations futures. La France est sous morphine. Sans une réforme puissante de l’Etat, en supprimant les gaspillages et les normes, on va dans le mur.

La presse anglo-saxonne vous qualifie de « french Thatcher ». La comparaison vous flatte ou vous agace ?

Si l’idée est de dire que je suis une femme à poigne, je réponds « oui » ! Que je m’intéresse aux classes moyennes, bien sûr. Ou que je vais remettre en ordre les finances publiques? J’en suis fière. Mais en ce qui concerne la manière d’exercer le pouvoir mon modèle reste Angela Merkel car elle arrive à dépasser les clivages politiques, comme je l’ai fait dans ma région – qui est sociologiquement à gauche – sur des sujets d’intérêt majeur comme la charte de la laïcité ou le bouclier sécurité.

François hollande voulait un « choc de simplification » et Emmanuel Macron a fait campagne sur le thème de la « révolution ». Or rien ne change, ou en pire puisque les normes s’empilent. Le système ne vous rattrapera-t-il pas également ?

Vous avez raison… c’est pour cela que je veux arriver au pouvoir avec des textes ficelés, prêts à être appliqués. C’est le cas sur la débureaucratisation -la réécriture du code du travail, de la procédure pénale…-, mais aussi sur l’immigration. Patrick Stefanini, mon directeur de campagne est un spécialiste (auteur de « immigration : ces réalités qu’on nous cache » chez Robert Laffont ndlr), nos propositions sont concrètes et efficaces : par exemple obliger à demander l’asile dans nos ambassades ou à la frontière, avec accueil en centre de rétention en attendant la décision du ministère de l’intérieur, après avis de l’Ofpra et retour immédiat si l’asile est refuse.

Comment vous nourrissez-vous intellectuellement ?

Ma préoccupation première c’est d’éviter la dislocation de la France en communautés, et le dénigrement de notre pays. Je suis choquée de voir que le mot « intégration » a quasiment disparu du discours public. On ne parle que de « lutte contre le séparatisme ». Mais par quel processus positif faire une Nation ? Au Québec, qui ne souffre pas de l’histoire douloureuse de la colonisation, le gouvernement affiche fièrement sa stratégie de « francisation ». Et nous ? Aux élections régionales, j’ai eu à combattre des adversaires qui reprenaient des thèses racialistes, décoloniales ou islamo-gauchistes que dénoncent Mathieu Bock-Cote ou Michel Onfray. J’ai apprécié l’essai de Pierre-Henri Tavoillot « comment gouverner un peuple roi » qui expose les trois dangers qui menacent notre démocratie : une extrême gauche qui sape la légitimité de nos institutions et des figures d’autorité, une extrême droite qui, à l’inverse, prône une « démocrature », et les mouvements islamistes qui cherchent à détruire notre civilisation. Sur la question de l’islamisme, on ne peut combattre que ce que l’on connait, c’est pourquoi je lis les travaux de Gilles Kepel, de Bernard Rougier et Hugo Micheron, sur les territoires conquis par l’islamisme, travaux que la région Ile-de-France a financés quand leurs universités refusaient de le faire ! Et aussi Rachid Benzine, Elisabeth Badinter ou Fatiha Agag-Boudjahlat. Sur l’économie, je me suis plongée dans le rapport Blanchard-Tirole, deux économistes que j’admire et qui nous appellent collectivement, comme le fait Nicolas Baverez dans un autre style, à plus de reformes et de courage !

Vous misez beaucoup sur le fait d’être une femme. Est-ce un atout pour diriger la France ?

Le simple fait d’être une femme n’est évidemment pas une qualité suffisante pour gouverner la France. Je n’ai jamais mis en avant ma féminité et, dans ma carrière j’ai dû respecter les codes d’un milieu très masculin. J’ai été élue, pas nommée. Si j’ai été ministre à 39 ans, c’est que j’ai accepté de prendre le ministère le plus à risque avec la réforme la plus dangereuse, celle de l’autonomie des universités. Et j’ai tenu 9 mois face à la rue. En revanche je ne laisserai jamais dire que les femmes doivent être cantonnées au poste de « numéro 2 » !

Eric Zemmour explique qu’une femme ne peut représenter l’autorité…

Des femmes plus courageuses que certains hommes il y en a pourtant eu dans l’histoire ! Eric Zemmour a écrit un livre il y a quelques années (« le premier sexe », ndlr) dans lequel il défend l’idée qu’une fonction qui se féminise se dévalorise. Cette thèse m’a fait bondir. Nous sommes toutes confrontées a ces stéréotypes : un homme qui crie a de l’autorité. Une femme qui crie perd ses nerfs. Alors oui, une femme doit exercer son autorité avec plus de calme qu’un homme. C’est plus difficile, car on doit conduire et convaincre en même temps. Mon leadership cherche à apaiser, n’électrise pas le débat et clive moins. Je pense que la société française en a besoin.

En matière de recherche, doit-on créer une darpa européenne ?

La Darpa aux Etats-Unis s’occupe d’abord de défense, qui n’est pas une compétence européenne. Mais, Il est vrai que l’Europe de la recherche semble à la traine dans cette crise Covid. Oui a la création d’une agence européenne de projets stratégiques de recherche avancée (sécurité, vaccins, batteries,…) mais attention, la France doit faire sa part du chemin : arrêtons une fois pour toutes de penser d’un côté la recherche, de l’autre l’entreprise. Y compris dans l’architecture gouvernementale: créons un ministère de la recherche, de l’innovation et de l’industrie. Simplifions aussi nos procédures pour redevenir une société d’innovation, et non de précaution excessive, qui conduit nos chercheurs les plus audacieux à l’exil.

Il y a également une bataille sur les données avec des géants du numérique complètement hors de contrôle…

Nous devons assurer notre souveraineté numérique, en France et en Europe. Les géants du numérique ne respectent pas les principes que nous nous imposons et nous prennent ce que nous avons de plus précieux : notre vie privée. Nous devons pouvoir contrôler leur exploitation de données et empêcher qu’ils rachètent nos start-ups stratégiques. Installons des data center nationaux pour conserver nos données sur notre territoire et armons nous contre toutes les formes de cybercriminalité, en créant notamment un « parquet national cyber » spécialement formé pour cela.

Vous placez l’éducation au cœur de votre projet. Que préconisez-vous ?


Je réclame un sursaut national. En Allemagne, quand le niveau de l’éducation a baissé, il y a eu un « Pisa choc » (du nom de l’étude pisa qui mesure les performances éducatives ndlr) . Toute la nation s’est levée pour relever le défi. En France, le niveau baisse, nous n’arrivons plus à recruter des enseignants et ca n’alarme personne ? Si on continue sur cette pente, dans dix ans la France ne sera plus la France. Revaloriser les salaires des enseignants ne suffira pas, car le nœud du problème c’est qu’il n’y a plus le respect du professeur. Il faut d’abord ramener la discipline dans les classes. Les élèves exclus doivent être places dans des établissements spéciaux à encadrement renforce. Je plaide pour un examen d’entrée en 6e, afin d’assurer la maitrise des fondamentaux, pour des collèges et des lycées expérimentaux autonomes, et pour créer une réserve éducative de professeurs retraites en renfort contre le décrochage.


Qu’est-ce qui, fondamentalement, vous différencie de Xavier Bertrand, de Michel Barnier et de Laurent Wauquiez ?

Une forme de radicalité et d’ampleur dans les reformes a accomplir. Je suis sans doute plus libérale. La décentralisation, la création de richesses, la liberté d’entreprendre, la liberté tout court sont pour moi essentielles.

Mais les français semblent demandeurs de protections à la fois sociales et physiques…


Comment réconcilier liberté et protection ? Voilà notre défi, et il exige des actes symboliques. Par exemple, d’ici cinq ans, je demanderai que toutes les sociétés cotées atteignent le seuil de 10% de leur capital détenu par leurs salariés. Les non cotées doivent y travailler aussi. La réconciliation du travail et du capital est au cœur de mon projet. Comme nous avons voté la loi Copé-Zimmerman qui impose 40% de femmes dans les conseils d’administration.

Par ailleurs il y a urgence a lutter contre les fraudes sociales qui ne sont plus tolérées par nos compatriotes. Le RSA doit donner lieu à une contrepartie d’activité d’intérêt général. Un étranger sans papier ne doit plus avoir automatiquement accès à des aides sociales -tarifs réduits dans les transports par exemple-. Il faut arrêter les « primes a l’illégalité ».

Vous supprimeriez l’Aide Médicale d’Etat ?

S’agissant de l’AME, nous devons resserrer le panier de soins remboursé sur la médecine d’urgence. Quant aux « mineurs étrangers non accompagnes », dont une bonne partie a en réalité plus de 18 ans : il faut mettre fin aux abus et organiser leur retour dans leur pays.

Nicolas Sarkozy en son temps préconisait des tests ADN, ce qui avait suscité la polémique. Vous reprendrez l’idée ?

Sous François Hollande la loi a changé: un clandestin qui refuse un test d’âge osseux est présumé… mineur ! On a désarmé une nouvelle fois la police et la justice. Dans tous ces domaines, il va falloir remettre de l’ordre. Nous devons être prêts à gouverner en avril prochain, d’autant plus que nous serons en plein milieu de la présidence française de l’Union Européenne. On n’aura que quelques mois « d’état de grâce » pour mettre en œuvre notre projet.


Qu’est-ce qu’une écologie de droite ? Pour la gauche c’est un « oxymore »…


La planète telle qu’on la connaît risque de disparaître et nous avons désormais en matière de climat et de lutte contre toutes les pollutions, une obligation de résultats. Le prochain Président devra être un écologiste sincère, mais certainement pas un idéologue. Sur ce sujet, je revendique d’avoir un temps d’avance sur ma famille politique. Quand j’étais ministre de la recherche, j’ai fait trancher l’Académie des sciences sur l’existence du réchauffement climatique. Elle était l’une des dernières, avec l’académie américaine, à ne pas avoir pris position. Mon écologie est une écologie des solutions, qui croit au progrès, et ne s’oppose pas à l’économie.

Sur quel point majeur de politique étrangère seriez vous en rupture avec l’actuel Président de la République ?

Clairement, je veux une autre Europe, qui protège et se fait respecter. Il faut remettre à plat toute notre politique migratoire et la défense de nos frontières ; instaurer la préférence européenne contre les produits en dumping social ou environnemental et la réciprocité obligatoire pour les marches publics ; construire des champions européens face aux américains et aux asiatiques ; instaurer une force européenne d’intervention antiterroriste pour intervenir ensemble sur les zones de conflits, et lancer un plan Marshall pour l’Afrique. Quelle déception que le mutisme de l’Europe sur l’Afghanistan alors que la lutte contre l’islamisme est notre combat commun.

La Corrèze vous a rapproché de Jacques Chirac. Et de François hollande ?

Je veux réparer les dégâts de la politique de François Hollande, mais je lui reconnais un vrai amour de la France et des Français, en bon Corrézien qu’il est !

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