ENTRETIEN. Après son départ de LR, la présidente de la région Île-de-France présente sa feuille de route pour rebâtir une droite compétitive entre Macron et Le Pen.
Présidente du conseil régional d'Île-de-France, Valérie Pécresse a claqué la porte des Républicains après la déroute de son parti aux élections européennes. Elle en désapprouvait les orientations identitaires et conservatrices. À la tête de son mouvement Libres !, elle veut promouvoir une nouvelle offre politique à droite. Pour cela, elle s'inspire notamment de la réforme menée par David Cameron au sein du Parti conservateur britannique entre 2005 et 2010. Sur les dépenses publiques, l'insécurité et l'écologie, elle livre au Point sa feuille de route. Et pointe les carences de la politique du gouvernement d'Édouard Philippe.
Le Point : Le 5 juin, vous avez annoncé votre départ des Républicains. Votre place n'est-elle pas à La République en marche ?
Valérie Pécresse : Les Républicains ont laissé le monopole de la modernité à Emmanuel Macron et celui de la nation, à Marine Le Pen. Double erreur fatale. En refusant d'incarner ses propres valeurs dans la société contemporaine, la droite s'est condamnée au rétrécissement. J'ai claqué la porte, car il fallait un électrochoc. Emmanuel Macron, par pure stratégie, a imposé un face-à-face entre Marine Le Pen et lui. Si la droite ne parvient pas à incarner une alternance crédible, Le Pen dirigera la France. Macron peut échouer. Et, ce jour-là, il faudra bien qu'il y ait une alternative démocratique en France.
« Macron est le meilleur président de droite qu'on ait eu depuis un certain temps », a déclaré ici même Emmanuelle Mignon, l'ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Emmanuel Macron me fait davantage penser à Tony Blair. Il a attiré la gauche vers le libéralisme économique. Il a ensuite triangulé la droite en parlant de fierté nationale. J'ai rencontré David Cameron et lui ai demandé : « Comment imposer ses idées contre Tony Blair ? » Il a rénové le logiciel des tories avec son « compassionate conservatism », une forme de droite sociale. La société britannique d'après Blair n'était plus la même.
Pour le moment, votre espace politique ressemble à un trou de souris, non ?
Je pense qu'il existe un espace bien plus grand que vous ne l'imaginez pour une droite moderne. Une droite forte sur le régalien, pro-entreprise, laïque, réformatrice pour en finir avec le matraquage fiscal, écologique, qui lutte contre les factures territoriales et sociales. Le discours de politique générale d'Édouard Philippe me conforte dans ma détermination. Certes, le Premier ministre ne dit rien de très critiquable. Enfin, il prend conscience de l'enjeu écologique. À la région Île-de-France, j'ai fixé comme objectif 50 % d'énergies renouvelables d'ici à 2030. Enfin, il dit la vérité sur les retraites ! Cependant, il esquive plusieurs sujets cruciaux pour la France. Je ne suis pas en désaccord avec ce qu'il dit mais inquiète de ce qu'il ne dit pas.
Par exemple ?
La baisse de la dépense publique, tout d'abord. La France a besoin d'une revue drastique de ses politiques publiques pour baisser durablement la fiscalité, améliorer le pouvoir d'achat et la compétitivité, donc la création d'emplois. Je n'ai pas non plus entendu le Premier ministre parler de stratégie industrielle. Nous venons d'échouer à faire naître des champions européens dans l'automobile et dans le ferroviaire.
Le projet de loi de transformation de la fonction publique présenté par le gouvernement ne va-t-il pas dans le bon sens ? L'auriez-vous voté ?
Là encore, il ne va pas assez loin. Le gouvernement a renoncé à baisser le nombre de fonctionnaires. Sans cela, on ne pourra jamais réduire la dépense publique. Il faut oser dire qu'il y a des dépenses peu utiles. En Île-de-France, nous avons fait un milliard d'économies en trois ans et supprimé quinze structures. L'État peut le faire aussi.
La droite incarnait l'ordre. Aujourd'hui, n'est-ce pas plutôt le pouvoir en place ? À cet égard, pour une partie de votre électorat, les européennes ont constitué un référendum « pour ou contre les Gilets jaunes »…
Marine Le Pen, qui a tardé à condamner les exactions des Gilets jaunes, par exemple l'agression du gendarme sur la passerelle Senghorà Paris, ne peut incarner le parti de l'ordre. Dans son discours, Édouard Philippe a fait l'impasse sur la montée des violences dans notre pays. La délinquance explose en Île-de-France. La sanction est la grande oubliée de la politique d'Emmanuel Macron. Un élève violent est exclu de l'école. Cela ne suffit pas, il faut mettre en place de vraies sanctions éducatives. Un clandestin doit être expulsé. Il faut revoir l'échelle des sanctions pour les rendre efficaces : interdire l'accès aux transports aux harceleurs ou aux pickpockets multirécidivistes, par exemple. La droite doit être le parti de l'ordre. La ministre de la Justice souhaite l'irresponsabilité pénale pour les mineurs de moins de 13 ans : c'est de la folie ! Ils seront instrumentalisés par les caïds pour commettre des délits. Le « en même temps », en matière de sécurité, est un déni de la réalité.
Sur l'immigration, le gouvernement dit vouloir étudier les quotas. Le jugez-vous également laxiste sur cette question-là ?
Totalement ! Il y a en France un détournement scandaleux du droit d'asile, avec des milliers de demandeurs venus de « pays sûrs ». Notre régime social est beaucoup trop favorable. La loi de 2004 sur les transports m'oblige à donner 50 % de réduction aux clandestins puisqu'elle concerne, sans distinction, toute personne gagnant moins de 7 000 euros par an. J'ai voulu obtenir la suppression de cette disposition. La République en marche a voté quatre fois contre mon amendement. L'hébergement des clandestins coûte un milliard par an, rien qu'en Île-de-France. Croyez-moi, le Premier ministre n'est pas de droite sur l'immigration.
« Votre » droite, dites-vous, doit s'attaquer aux fractures territoriales. Mais, présidente de la région la plus riche du pays, n'incarnez-vous pas la France des métropoles ?
Le mouvement des Gilets jaunes a démarré en Seine-et-Marne ! L'Île-de-France, c'est 2 millions d'habitants dans des villages. Nous cumulons les problèmes de désertification rurale et des quartiers ghettos. La France a besoin d'un plan banlieue vigoureux. Le Danemark en a fait un projet national, sans tabou : il veut doubler les peines dans les lieux de trafic, développer la mixité en interdisant plus de 30 % de logements sociaux par quartier, et plus de 30 % d'enfants issus de l'immigration par école. On en est loin ! Par ailleurs, la mobilité est un sujet majeur pour les Français. En Île-de-France, j'ai fait de l'égalité face aux transports ma priorité.
Le président de la région des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, est-il mieux placé que vous pour réconcilier la droite avec le peuple ?
Nous sommes tous les deux dans les solutions concrètes, même si nos deux régions sont différentes : rapprocher l'emploi des habitants, mieux former, redonner du pouvoir d'achat, de la sécurité, un meilleur accès à la santé... Mais, en Île-de-France, les questions de laïcité, de droits des femmes, de lutte contre le communautarisme, d'écologie et de lutte contre les discriminations sont également primordiales.
Nicolas Sarkozy fait son retour ... en librairie. Doit-il également revenir en politique ?
Les Français se rendent compte qu'un certain nombre de vraies réformes ont été faites sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy et j'en suis heureuse. Pour l'instant, il n'envisage pas son retour. C'est donc à nous de nous retrousser nos manches.
« Ces douze prochains mois seront ceux de l'accélération écologique », a déclaré Édouard Philippe. Sur ce sujet, la droite est bien discrète. Quelle devrait-être sa politique ?
Chez Les Républicains, un colloque a été récemment organisé avec plusieurs intervenants climato-sceptiques ! Lorsque j'étais ministre de la Recherche, j'ai demandé à l'Académie des sciences de se prononcer clairement sur la controverse sur le réchauffement climatique. J'ai fait adopter une stratégie écologique jugée « trop ambitieuse » par les Verts d'Île-de-France : tripler nos surfaces en agriculture bio, créer 500 hectares d'espaces verts... Les premiers écologistes dans ce pays sont les maires de droite. Anne Hidalgo prône à Paris une écologie antisociale. L'ennemie, c'est la pollution, pas la voiture si elle devient propre. La voiture reste un réducteur d'inégalités pour ceux qui vivent loin des centres-ville.
La droite doit-elle abandonner les « sujets de mœurs » ?
Les Français en ont assez de voir les politiques incapables de résoudre leurs vrais problèmes et, en revanche, trop intrusifs dans leur vie privée : qui on aime ? comment on meurt ? Laissons « le privé au privé ». Notre rôle, c'est de défendre la dignité humaine, valeur fondamentale de la République. C'est aussi de redonner aux Français espoir dans l'avenir.
Qui ferait le meilleur candidat (ou la meilleure candidate) de la droite à Paris ?
Celui, ou celle, qui saura recréer un esprit d'équipe autour d'un projet ambitieux pour Paris.
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