La société française n’a plus les moyens de se défendre dont elle disposait encore voilà quarante ans. Les «armes» du ministère de l’Intérieur ont été rognées. Et l’idée d’imposer des devoirs aux ressortissants étrangers vivant en France a été disqualifiée, déplore l’ancien secrétaire général du ministère de l’Immigration, conseiller d’État honoraire.
L’horrible attentat de Conflans nous oblige à réfléchir à la politique mise en œuvre à l’égard des ressortissants étrangers présents sur le territoire français. L’auteur de l’attentat s’était vu délivrer une carte de résident de dix ans au motif qu’il avait obtenu le statut de réfugié, refusé par l’Ofpra, mais accordé ensuite par la Cour nationale du droit d’asile. La preuve a, hélas, été faite qu’il n’était nullement intégré à la société française dont il a bafoué les valeurs les plus élémentaires. Avec le recul du temps, l’attribution automatique d’une carte de résident valable 10 ans à certaines catégories d’étrangers apparaît comme une erreur. La délivrance d’une telle carte, automatiquement renouvelable, doit être la récompense d’un effort, le couronnement d’un processus d’intégration vérifié. Cette délivrance doit être subordonnée à trois conditions: une bonne maîtrise du français, une adhésion sans faille aux valeurs de la République et un emploi stable.
Ce n’est pas le cas aujourd’hui. De même, certaines catégories d’étrangers ne doivent plus obtenir de plein droit une carte de résident au motif notamment de leur situation familiale (parent d’enfant français, conjoint de français) sans vérification sérieuse de leur degré d’intégration. En matière d’intégration, la France, à la différence de plusieurs de ses voisins européens dont l’Allemagne ou l’Italie, fait semblant. Des cours de langue française sont organisés pour les primo-arrivants, mais atteindre un niveau minimum en français n’est pas la condition de l’obtention d’un premier titre de séjour. Les étrangers peuvent se contenter de faire état de leur assiduité aux cours. Comme si l’obligation de résultat était un gros mot. Il faut rompre avec ce laisser-aller. Les étrangers qui n’ont pas atteint un niveau minimum en français doivent obtenir une simple autorisation de séjour (pour 3 ou 6 mois). Et ceux qui ne sont pas titulaires d’un CDI doivent seulement se voir délivrer un titre de séjour d’un an.
En matière de sécurité, en outre, prévention et répression doivent aller de pair.L’appréciation de l’intégration d’un étranger doit être le fait du préfet, seul à même de disposer d’informations précises sur la dangerosité de certains individus, et du maire, le mieux placé pour savoir ce qui se passe dans sa commune.
En matière de sécurité, en outre, prévention et répression doivent aller de pair. Or s’agissant des étrangers, l’équilibre entre ces deux formes d’action a été totalement rompu ces dernières décennies.
Jusqu’au milieu des années 1990, le ministre de l’Intérieur pouvait expulser un étranger dont la présence représentait une menace grave pour l’ordre public. Pour les profils les plus dangereux, porteurs d’une menace pour la sécurité de l’État, l’expulsion pouvait se faire en urgence absolue. À la fin des années 1980, en ma qualité de sous-directeur des étrangers au ministère de l’Intérieur, je soumettais chaque semaine à mon directeur plusieurs dizaines de dossiers d’expulsion. Depuis, cet élément de l’arsenal de défense de l’État et de la société a perdu beaucoup de son importance. Le nombre des expulsions d’étrangers pour menace à l’ordre public qui était de 5330 en 1977 n’est plus que de 1465 en 1981. Il remonte à 1746 en 1987 avant de s’effondrer à 383 en 1990. La France a baissé la garde il y a plus de trente ans et la gauche en porte très largement la responsabilité. La priorité a été donnée aux mesures d’interdiction du territoire prononcées par un juge. C’est une erreur sur laquelle il faut revenir. L’interdiction judiciaire du territoire fait partie de la panoplie répressive, mais ne peut être prononcée qu’à l’issue d’un procès après qu’ont été commises des infractions d’une grande gravité. Par définition, quand elle intervient, le mal a déjà été fait.
La force de l’expulsion décidée par le ministère de l’Intérieur est qu’elle est une mesure administrative à caractère préventif: dès lors qu’il estime que la présence d’un étranger sur le territoire est une menace pour l’ordre public,le ministre doit pouvoir la décider. Même si l’intéressé n’a pas fait l’objet d’une condamnation, puisque l’objectif est précisément d’éviter le passage à l’acte d’un individu potentiellement dangereux. Par exemple, le prosélytisme de certains prédicateurs et leur capacité à se tenir en retrait d’actes commis par des esprits faibles qu’ils ont inspirés doivent pouvoir être sanctionnés par l’État indépendamment de l’appréciation de la justice. Et un étranger ayant purgé une peine de prison doit pouvoir être expulsé à sa sortie de prison même si la juridiction qui l’a condamné n’a pas assorti cette condamnation d’une interdiction judiciaire du territoire. C’est au ministre de l’Intérieur et à lui seul que doit de nouveau incomber la charge d’apprécier la menace qu’un étranger représente pour la société française. De façon plus générale, la surveillance des étrangers, perçue comme une mission naturelle du ministère de l’Intérieur jusqu’aux années 1980 et en large partie abandonnée depuis, a une justification. Par exemple, une vigilance particulière s’impose pour les personnes ayant sollicité ou obtenu le statut de réfugié. Le risque existe en effet que certains ne soient tentés d’importer en France des passions idéologiques ou religieuses.
La seule solution, pour l’autorité publique, est donc d’assumer de nouveau la mission de surveillance des étrangers, dans le respect, naturellement, des libertés. Même entouré de précautions, le mot de «surveillance» n’a pas bonne presse. Mais il importe de redonner au ministre de l’Intérieur la capacité à faire surveiller, dès le premier signal faible, un ressortissant étranger qui n’emprunterait pas le chemin d’une bonne intégration.
Et les informations ainsi recueillies par police et gendarmerie doivent permettre si nécessaire d’étayer une procédure d’expulsion à titre préventif. On m’objectera que l’appréciation, par le ministre de l’Intérieur, de la menace à l’ordre public est subjective, voire arbitraire. C’est ignorer que sa décision peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif. Sur tous ces sujets, cessons enfin de faire semblant!
«Immigration: ces réalités qu’on nous cache» (Éditions Robert Laffont), de Patrick Stefanini, est à paraître le 15 novembre.
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