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"Ni Macron, ni Buisson. Je veux construire une nouvelle ligne à droite"



Valérie Pécresse, présidente (Les Républicains, LR) de la région Ile-de-France, juge les premiers mois d’Emmanuel Macron à l’Elysée et met en garde sa propre formation politique contre toute tentation de rétrécissement.

Entre un Emmanuel Macron europhile et un Front national (FN) europhobe, LR a-t-il une place aujourd’hui dans le débat européen ?

Oui, je le pense. Il y a toujours eu des pro-européens de droite comme de gauche ; et ils n’ont jamais fait liste commune. Mais, je reste vigilante sur la ligne qui sera défendue par mon parti en 2019. Je ne crois pas aux sempiternels mécanos institutionnels, ni au Parlement de la zone euro de M. Macron, ni au nouveau traité que propose Laurent Wauquiez [candidat à la présidence de LR]. Je défends une Europe des projets qui parle aux citoyens, fondée sur des coopérations renforcées entre Etats. Une Europe de la sécurité avec une armée, des frontières sûres avec des « hot spots » et une Europe de l’emploi qui fait le pari du numérique, de l’innovation, des champions industriels, du multilinguisme… Mais aussi de l’harmonisation fiscale et sociale et de la débureaucratisation. Mon ambition est de redonner envie d’Europe aux Français.

Alain Juppé vous cite comme l’une des personnalités qui peuvent mener un grand rassemblement central européen contre un parti LR de plus en plus eurosceptique…

Je ne me résous pas à ce que notre famille politique se prive de sa capacité à réfléchir à l’avenir de l’Europe.

Vous n’êtes donc pas aussi positive que lui sur l’action de M. Macron ?

A ce stade Emmanuel Macron incarne bien la fonction présidentielle. Il a endossé le costume à l’international et nous rend fiers quand il s’oppose à Donald Trump sur le climat, quand il fait sortir Saad Hariri d’Arabie saoudite…

Sur l’économie, il fait des réformes que la droite a voulu faire et qu’elle n’a jamais faites. Je suis dans une opposition juste. Mais [le chef de l’Etat] reste un homme de gauche, un social-libéral, héritier de Dominique Strauss-Kahn, ou de Tony Blair. Je vois dans son action des failles où se nichent les racines de l’alternance.

Lesquelles ?

Il est jacobin or la société française a besoin qu’on libère son énergie, pas d’être corsetée par l’Etat. Il est trop technocratique, comme sur les emplois aidés. Derrière, il y a des hommes et des femmes, ce ne sont pas seulement des lignes comptables. A la région, nous avons mis deux ans à supprimer ces emplois mais en traitant chaque situation.

Emmanuel Macron a aussi une forme d’angélisme caractéristique de la gauche, notamment quand il parle de la politique de la ville, de la sécurité ou du communautarisme… Alors qu’il faut être intransigeant et casser les ghettos en y imposant un maximum de 30 % de logements sociaux.

Enfin sur les réformes : il fait celles qui auraient dû être faites depuis dix ou vingt ans. Mais aura-t-il le courage d’aller plus loin ? Par exemple sur l’orientation sélective à l’université, sur la dégressivité des allocations-chômage, sur la décentralisation…

Attendiez-vous une réponse plus ferme de sa part sur les prières de rue à Clichy-la-Garenne ?

Oui. Face aux groupes de pression, l’Etat ne doit jamais regarder ailleurs, ni baisser la tête. Je suis allée à Clichy pour rappeler cette évidence. C’est aussi pour cela que je me suis rendue place de la Chapelle, parce que les femmes ne pouvaient y circuler normalement. Il ne peut y avoir de zones de non-droit dans la République.

Pour bien appliquer la loi de 1905, la France a désormais besoin d’une charte de la laïcité avec des prescriptions claires, y compris sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Celle que nous avons mise en place en Ile-de-France est contraignante pour tout octroi de subvention publique. Les associations, les entreprises, les élus ont besoin d’être guidés et soutenus en matière de laïcité.

Approuvez-vous les mots très durs de M. Wauquiez quand il évoque la « haine » de M. Macron pour la province ou son « désert de l’âme » ?

Non, je ne suis pas là pour gagner la bataille des décibels mais celle de la crédibilité. Certains parlent du retour de la droite. Mais la droite est toujours là. Ce sont nos électeurs qui sont partis et il faut leur redonner envie.

En 2017, nous n’avons pas su incarner l’espoir. Seulement 6 % des moins de 35 ans ont voté pour nous à la présidentielle. Nous devons rénover totalement nos idées et cela va prendre des années. Plutôt que des formules, les Français attendent de notre part des actes et un projet pour préparer une alternance désirable et éviter le populisme.

Pour cela il faut parler de la France de demain et pas de celle d’hier, car après cinq ans de gouvernement Macron, le pays ne sera plus le même. Nous n’allons pas reconstruire la droite avec un logiciel inchangé depuis 2007.

A Asnières, le 15 novembre, M. Wauquiez a demandé à ses partisans de « faire taire ces tireurs embusqués, ceux qui n’ont pas le courage de se présenter aux élections et qui tirent contre leur camp ». Vous êtes-vous sentie visée alors que vous avez renoncé à vous présenter à la présidence de LR ?

Un parti, c’est un lieu de débat, pas de caporalisme. Le vrai courage en politique, c’est de tenir ses engagements. En 2015, j’ai gagné une des plus difficiles élections régionales pour la droite. J’ai promis à mes électeurs d’être à 100 % à la région sans cumul. Mais, je ne renonce pas à construire la nouvelle ligne politique de la droite sans la diviser.

En créant Libres ! j’ai voulu empêcher l’hémorragie d’un grand nombre d’élus qui auraient pu quitter LR car ils ne se retrouvent pas dans une ligne ultra-conservatrice. Notre droite veut incarner à la fois l’ordre et l’espoir. Elle est réformatrice, forte sur le régalien et sociale. Elle croit à la méritocratie, à l’émancipation, à l’innovation sociale. Elle ne se contente pas de dénoncer l’assistanat. Elle veut représenter la France dans sa diversité.

Votre droite a un espace politique très réduit entre M. Macron, les Constructifs et la ligne dure…

Pour exister, il faudra être iconoclastes. Nous créerons notre espace en n’étant ni Macron, ni Buisson mais un aiguillon du gouvernement. Avec Libres !, nous allons faire des contre-propositions très prochainement, par exemple sur les déserts médicaux ou sur la politique de la ville ou sur l’immigration. Depuis dix ans, toutes les idées neuves ont émergé des mouvements et pas des partis. Regardez Désirs d’avenir, Force Républicaine, En Marche ! Ma région me passionne et je veux aussi offrir un vrai projet à la droite.

Si M. Wauquiez est élu, resterez-vous quoi qu’il arrive au sein de LR ?

J’ai deux lignes rouges : la non-porosité avec le FN et le respect des sensibilités. Il y a eu des dérapages de la part d’un responsable de Sens commun. Ce mouvement a sa place chez nous à condition qu’il se désolidarise de telles déclarations et qu’il réaffirme sa volonté de ne jamais faire d’alliance ni avec le FN, ni avec ses alliés. Je revendique aussi la liberté d’expression au sein de ma famille politique. Je ne cherche aucun poste. Je veux simplement que mes idées et ceux qui les partagent puissent peser sur la ligne du parti.

Marine Le Pen propose une alliance à M. Wauquiez. Y voyez-vous le signe d’une nouvelle proximité idéologique ou une simple provocation ?

Je remarque juste qu’aucun membre du FN ne m’a jamais proposé de m’allier avec lui. Je ne fais pas de procès d’intention mais cela montre qu’il y a une tentative de rapprochement.

La fêlure originelle a eu lieu le jour où M. Wauquiez n’a pas appelé à choisir M. Macron contre Marine Le Pen dans l’entre-deux-tours de la présidentielle. Alain Juppé, François Fillon et Nicolas Sarkozy n’ont, eux, pas hésité un seul instant. Il s’agit d’une rupture très forte dans notre histoire politique, qui laisse planer un doute sur un éventuel double langage. En façade, on affiche sa volonté de ne jamais faire d’alliance et un jour peut-être on l’acceptera. Ce doute est insupportable pour tous les Républicains.

M. Wauquiez affirme plutôt qu’il va faire revenir les électeurs partis au FN…

Le populisme est une impasse car le FN ne s’effondrera pas. Ce parti n’est pas en panne de leader. Il y a Marine Le Pen. Il y aura un jour sa nièce.

A droite, certains remettent déjà en cause l’existence de la primaire. N’est-ce pas un combat que vous devriez mener dès maintenant ?

La primaire a des effets pervers mais elle reste le seul système pour n’avoir qu’un candidat de la droite et du centre face à M. Macron et face aux extrêmes. Sans la primaire de 2016, nous aurions eu trois candidats à droite et aucune chance de qualification au deuxième tour. En 2022, notre candidat sera celui qui gagnera la bataille de l’audace, de la crédibilité et du rassemblement.


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