« L'Etat ne peut pas s'exonérer des efforts qu'il demande aux autres »
- Libres !
- 3 oct. 2017
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INTERVIEW – La présidente LR de la région Ile-de-France épingle « l'insuffisante audace réformatrice » d’Emmanuel Macron et réclame des « économies sur le fonctionnement de l’Etat ». Valérie Pécresse, qui a créé à la rentrée son mouvement Libres!, veut incarner « une droite porteuse d’espoir » et non pas « nostalgique, identitaire ou ultra conservatrice ».
Code du travail, fiscalité, logement, plan d'investissements : globalement, les réformes d'Emmanuel Macron vont-elles dans le bon sens ?
Son bilan est inégal. Il a su incarner la fonction présidentielle notamment à l'international et redonner confiance aux milieux économiques. La loi travail est une réforme que la droite voulait faire – si j'étais députée, je la voterai – mais sur le reste, c'est la déception qui l'emporte. On perçoit chez lui un certain nombre de failles : une forme d'angélisme sur les sujets de communautarisme et de sécurité, dont les réponses ne se limitent pas aux dispositions de la loi antiterrorisme, une hypercentralisation du pouvoir et surtout, à ce stade, l'insuffisante audace réformatrice, notamment, sur la réforme de l'Etat. L'Etat ne peut pas s'exonérer des efforts qu'il demande aux autres.
C'est-à-dire ?
En 2018, les économies sont supportées par les Français – APL, CSG, … – et par les collectivités locales, qui ont déjà été beaucoup mises à contribution. Où sont les économies sur le fonctionnement de l'Etat ? L'audace réformatrice passe d'abord par le lâcher prise de l'Etat : il faut libérer la société française des contraintes bureaucratiques, rapprocher la décision du terrain et ce n'est pas en gardant un appareil d'Etat pesant et en sabrant les collectivités qu'on y arrivera. Il est beaucoup plus facile de baisser les dotations aux collectivités que de réformer. L'exécutif nous applique la méthode du rabot budgétaire. Il choisit la facilité au détriment de l'efficacité des politiques.
C'est révélateur d'une certaine vision de la France, jacobine et technocratique, qui méconnaît la France des territoires, populaires ou ruraux et reste fascinée par les métropoles et les centres villes qui réussissent. Les régions sont les mieux à mêmes pour aménager de manière harmonieuse les territoires afin qu'il n'y ait aucun oublié.
Mais Edouard Philippe, lui, a été un élu local…
Matignon semble l'éloigner de cette réalité.
Les régions se sont retirées de la Conférence des territoires. Est-il si scandaleux de mettre les collectivités à contribution ?
Les régions ont fait des économies l'an dernier, pas l'Etat ! En Ile-de-France, nous avons fait 250 millions d'euros d'économies en deux ans alors que nos recettes ont baissé. Sur les 13 milliards d'économies que l'Etat veut imposer aux collectivités locales, j'aurais souhaité que la moitié porte sur l'appareil déconcentré de l'Etat. C'est sa lourdeur, avec ses normes et sa bureaucratie, qui bloque en partie la société française. Je suis favorable à un pacte de croissance et d'emploi Etat-région avec des obligations de résultats et un bonus-malus. Mais, l'Etat doit s'appliquer à lui-même les mêmes règles (économies, baisse des effectifs…).
L'Etat affirme que les dotations des régions seront stables en 2018. C'est faux. Nous aurons 450 millions d'euros en moins. Cet argent finançait la reprise par les régions de la compétence de développement économique des départements. L'Etat ne respecte pas sa parole.
Les répercussions sont-elles si grandes ?
C'est dramatique. Pour l'Ile-de-France, c'est 55 millions en moins. Je vais devoir réduire l'aide aux PME, à l'artisanat, à la recherche et à l'innovation. Autre sujet d'inquiétude : la future réforme de la formation professionnelle. Nous demandons une nouvelle étape de décentralisation, qui permette enfin aux régions de définir les formations à partir des besoins des bassins d'emploi. A ce stade, pas de réponse.
En matière de politique industrielle, le rachat d'Alstom par Siemens nous inquiète aussi. Il y a un risque de casse sociale. Je veux des garanties sur la production en France et l'arrivée en temps et heure des trains, métros et tramways neufs commandés par la région.
Quel jugement portez-vous sur les débuts du Premier ministre, issu de votre famille politique ?
Alain Juppé avait un programme de réformes puissant et équilibré. Le problème d'Edouard Philippe, c'est qu'il est parti sans le programme !
Voyez-vous, comme Laurent Wauquiez, un simple « catalogue de bonnes intentions » dans les propositions faites par Emmanuel Macron sur l'Europe ?
Non. Sur la défense européenne, sur l'Erasmus européen, sur des coopérations renforcées, ses propositions sont intéressantes. En revanche, je ne suis pas convaincue par l'idée de créer un Parlement et un budget de la zone euro. J'ai peur d'une usine à gaz de plus, avec à la fin deux Europes. Je ne suis pas favorable non plus à l'idée fédéraliste de listes transnationales. Cela éloignerait le Parlement européen des citoyens.
Ne regrettez-vous pas d'avoir laissé le champ libre à Laurent Wauquiez pour la présidence de LR ?
Non. Cette élection est prématurée. Ce que l'on a vécu n'est pas simplement une défaite mais la fin d'une époque. La droite doit entièrement se réinventer. Rien ne serait pire que de croire qu'il suffit d'un président de parti et que tout reparte comme avant. Le logiciel de pensée de la droite n'est plus adapté à l'époque : à peine 6% des moins de 35 ans ont voté pour nous. J'ai pris un engagement, auprès de 12 millions de Franciliens – être à 100% à la région – et dans une période de défiance vis-à-vis des responsables politiques, rompre cet engagement serait vécu comme une véritable trahison. Cela ne m'empêche pas de penser et d'avoir des idées. D'où la création du mouvement Libres !.
Selon Laurent Wauquiez, « il ne faut jamais avoir peur de se présenter devant les électeurs » …
Je n'ai, en matière de courage, aucune leçon à recevoir. Je me suis présentée dans une région détenue par la gauche depuis dix-sept ans, face à Claude Bartolone, soutenu par tout l'appareil d'Etat. J'ai mené jusqu'au bout des réformes explosives au ministère de l'Enseignement supérieur et j'ai tenu face à la rue. Tenir ses engagements, faire passer ses promesses avant son ambition personnelle, c'est ça le vrai courage.
En créant votre chapelle, ne participez-vous pas à l'éclatement de la droite ?
La caporalisation n'est pas la réponse à une défaite aussi massive que celle que nous venons de vivre. Au contraire, en créant Libres!, je veux empêcher beaucoup d'électeurs déboussolés de se dire que les valeurs qu'ils défendent au sein de la droite ne sont plus portées. Libres !, c'est la diversité dans l'unité, c'est rester dans ma famille politique mais chercher à y peser pour éviter qu'elle soit poreuse avec le FN, parte dans le populisme ou la démagogie.
Sur l'économie, quel espace Emmanuel Macron laisse-t-il à la droite modérée ?
Il y a une différence de degré mais aussi de nature entre ce qu'il fait et ce que j'aimerais faire. Je veux une société libérée, qui s'attaque vraiment à la bureaucratie, réforme la sphère sociale de façon à vraiment baisser les impôts. Je veux des réformes justes mais audacieuses, qui permettent de retrouver des marges de manoeuvre, par exemple une vraie réforme de droits progressifs en matière d'assurance-chômage. Emmanuel Macron n'a pas encore fait les réformes de libération des énergies, qui sont pourtant indispensables. La réalité, c'est qu'il n'est pas « de gauche et de droite »; il est social-démocrate.
Alors oui, à côté des blocs extrêmes du Front national et de la France insoumise, et de ce bloc social-démocrate qui ne réforme pas autant qu'il le faudrait et qui n'est pas assez ferme sur les menaces – insécurité, islamisme et flux migratoires -, il y a la place pour une droite authentique, audacieuse, forte mais moderne et sociale. Une droite porteuse d'espoir, qui ne proposerait pas de rétablir la France d'hier et qui ne serait pas forcément une droite nostalgique, identitaire ou ultra conservatrice.
Voterez-vous lors de l'élection à la présidence de LR ?
Bien sûr, mais je ne soutiendrai personne.
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