La présidente de la région Île-de-France critique le jacobinisme d'Emmanuel Macron. Elle livre sa version du « réformisme désirable ». Entretien.
Le Point : Président depuis un an, Emmanuel Macron a pu séduire la droite par ses discours. Aujourd'hui, ses mots portent-ils encore ?
Valérie Pécresse : Plus que les mots, ce sont les images, au sens propre comme au sens figuré, qui matérialisent la déconnexion d'Emmanuel Macron avec le pays. La piscine de Brégançon ou la vidéo sur le « pognon de dingue dépensé en aides sociales » sont autant d'épisodes irritants. Elles traduisent une forme de déconnexion avec la vraie vie, le pouvoir d'achat et les fins de mois difficiles. Cela coïncide avec un exercice de plus en plus solitaire du pouvoir. Emmanuel Macron se coupe d'un certain nombre de relais de terrain et d'une partie de la société civile. Les collectivités locales sont rabaissées dans leur rôle. Pourtant, nous pourrions être des relais efficaces pour « faire », en matière d'apprentissage par exemple. Aujourd'hui, que des élus locaux modérés comme Dominique Bussereau ou Hervé Morin soient en colère prouve bien qu'ils ne se sentent pas respectés. Emmanuel Macron n'entraîne plus avec lui ceux qui pourraient démultiplier son action sur le terrain. Cela dénote un vrai problème de gouvernance.
D'une modernité d'affichage, Emmanuel Macron serait passé à une forme de jacobinisme surannée ?
Nous attendions un lâcher-prise de l'État. Or, nous subissons une politique centralisée et qui ne fait confiance qu'à des technocrates. Ils peuvent avoir de bonnes visions « macro » des problèmes, mais derrière il y a la gestion « micro » du changement, celle qui touche l'être humain. L'exemple type, c'est la fin des emplois aidés. Dans ma région, nous les avons supprimés de manière progressive et en offrant une solution personnalisée à chacun d'entre eux : une formation ou une proposition d'embauche. Les Français attendaient de la bienveillance de la part d'Emmanuel Macron. Elle a disparu.
Le chef de l'État a réinstauré la verticalité de la fonction présidentielle, et on lui reproche maintenant de régner en monarque. N'est-ce pas paradoxal ?
Emmanuel Macron incarne la fonction présidentielle, il faut le mettre à son crédit. Les Français ont poussé un véritable ouf de soulagement quand ils ont vu, après François Hollande, l'arrivée d'un président dont ils peuvent être fiers, notamment à l'international. Mais, quand on fait de la politique, on est toujours sur un fil : ce qui est une qualité un jour peut devenir un défaut le lendemain.
« Epaisseur humaine ». Pour Valérie Pécresse, la droite doit davantage se préoccuper de l’égalité hommes-femmes et de l’ascenseur social.
Concernant le projet de loi constitutionnel, les parlementaires dénoncent une réduction du pouvoir législatif. Serait-ce là une dérive du pouvoir exécutif ?
Je crois qu'il faut savoir déléguer et, pour cela, s'appuyer sur de bons relais. On sent qu'Emmanuel Macron en manque au Parlement, comme dans la société civile. La modernité, c'est faire confiance à des personnes un peu nouvelles… Quand d'autres dirigeants ont libéré les énergies, ils se sont appuyés sur le tissu des entrepreneurs, le tissu associatif ou celui des élus locaux…
Face aux populistes européens, accordez-vous à Emmanuel Macron d'avoir repris un certain leadership ?
Il est un européen convaincu, comme je le suis aussi. Mais il doit définitivement renoncer à sa vision fédérale, qui est illusoire. Nous attendons qu'il conduise l'Europe à sécuriser nos frontières et à adopter des règles communes en matière migratoire. Il devrait montrer l'exemple en France avec de la fermeté dans les actes, singulièrement absente aujourd'hui. J'ai demandé que le ministre de l'Intérieur publie tous les mois la liste des personnes reconduites à la frontière. Que sont devenus ceux qui étaient dans les campements démantelés à Paris ? Combien ont été expulsés ? Les Français ont droit à la transparence.
Quel type de réformisme différent de celui d'Emmanuel Macron appelez-vous de vos vœux ?
J'ai la conviction qu'on ne pourra faire des réformes puissantes que si on les rend désirables. Cela vaut pour Emmanuel Macron comme pour la droite : nous avons perdu l'élection présidentielle certes à cause des affaires, mais nous avions déjà commencé à chuter dans l'opinion à la fin de la primaire. Pourquoi ? Parce que nous avons présenté les réformes comme « du sang et des larmes ». « On va vous faire travailler plus longtemps, jusqu'à 65 ans », « on va vous couper le tiers de votre allocation chômage », « on va moins vous rembourser les médicaments »… Si l'on présente une réforme uniquement comme une baisse des droits acquis, la résistance s'organise et, à la fin, la réforme échoue.
En quoi le réformisme actuel n'est-il pas « désirable » ?
Parce qu'il ne lie pas réforme et hausse du pouvoir d'achat, réforme et baisse des impôts ou des charges. Il faut un donnant-donnant. Cela consiste à dire : oui, vous allez travailler plus longtemps, jusqu'à 65 ans, mais en contrepartie vos cotisations retraite baisseront et chaque mois vous gagnerez 10, 20, 30, 40 euros de plus. Oui, vos droits au chômage seront réduits, mais en échange vos cotisations chômage vont baisser. Et là encore vous allez gagner un peu plus chaque mois. Si nous faisons des économies sur les dépenses sociales, elles doivent se traduire par une hausse des salaires nets.
Avec le prélèvement à la source, les Français vont découvrir combien ils paient d'impôts, et les gaspillages liés à l'absence de réformes leur deviendront insupportables. Il va y avoir une rébellion du pouvoir d'achat ! Je ne fais pas partie de la droite démagogue qui réclame des augmentations de salaire brut, non financées, qui dégraderaient la compétitivité des entreprises. En revanche, je dis que, si on a le courage de faire de vraies réformes, de reconsidérer les statuts et les droits acquis, ce doit être pour rendre de l'argent aux Français.
Quand Alain Minc parle d'Emmanuel Macron comme d'un dirigeant libéral qui ne réduit pas les inégalités, vise-t-il juste ?
La France est un pays profondément fracturé, et ses fractures sont tout autant sociales que territoriales ou éducatives. Je parlerais plutôt de fractures que d'inégalités, car dans notre pays le sentiment d'injustice touche à la fois les plus défavorisés, qui réclament l'égalité des chances, et les classes moyennes, qui ont le sentiment de payer trop d'impôts et de n'avoir droit à rien.
Quelles réformes d'Emmanuel Macron auraient le plus creusé ces fractures ?
L'abandon du plan banlieue, par exemple ! Il faut un plan pour les quartiers populaires, car ils sont au bord de l'explosion. On connaît le rapport de Jean-Louis Borloo, ses forces, ses faiblesses, et l'on sait que tout ne se fera pas par la dépense publique. Il n'est pas question de saupoudrer les crédits ni de faire du clientélisme pour acheter la paix sociale. Néanmoins, j'adhère à son diagnostic de départ : les banlieues sont des chaudrons, des lieux potentiels de détestation de la France, de ressentiment.
Que proposez-vous ?
Je rejoins Manuel Valls quand il parle de « stratégie de peuplement » : il faut casser les ghettos, casser les grands ensembles, parce qu'ils concentrent trop de difficultés sociales. Quand il n'y a plus de mixité, ça ne marche plus. Mon plan en Île-de-France repose sur trois piliers : l'autorité, la mixité, la réussite. Il ne faut plus construire de quartiers avec plus de 30 % de logements très sociaux. Parce qu'à plus de 30 % il n'y a plus de mixité, les écoles ne fonctionnent plus, l'ascenseur social ne fonctionne plus, et les trafics et l'économie souterraine prennent la place. Pendant quinze ans, la gauche nous a dominés intellectuellement avec ses quotas de logements sociaux obligatoires.
Comment répondre au défi de l'intégration ?
Dans une société-monde comme la nôtre où l'on accueille des Français de toutes origines, les traditions, la culture et les religions sont des sources d'éclatement. Des sources centrifuges : chacun a les siennes. Notre protection, notre ciment, c'est la loi de la République, que l'on doit faire respecter. La gauche a été faible, particulièrement sous François Hollande. Mais la droite aussi ! Aujourd'hui, on ne demande qu'une seule chose à Emmanuel Macron : traduire son autorité en actes et pas seulement en mots. Cela commence par faire une vraie différence entre les immigrants illégaux et ceux qui sont en situation régulière.
La région Île-de-France vient de voir annuler par le juge sa décision de supprimer la réduction de 50 % pour les étrangers en situation irrégulière dans les transports. Pourquoi un étranger dans l'illégalité bénéficierait-il d'une réduction annuelle sur le prix des transports en commun ? Lors de l'examen de la loi immigration au Sénat, un amendement a été voté pour changer la loi. Mais cette semaine, les députés LREM ont supprimé cet amendement. J'avais pourtant alerté le gouvernement, qui m'avait fait des réponses embarrassées. Il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale pour mettre fin à cette prime à l'illégalité. Le principe tient en une seule phrase : quand on est en situation irrégulière, on doit rentrer chez soi. Il faut arrêter ces aides, dépourvues de tout motif humanitaire, qui sont autant d'appels d'air. Le « en même temps » ne doit pas devenir un double langage.
Que préconisez-vous au sujet de l'organisation de l'islam en France ?
J'attends d'Emmanuel Macron qu'il dise les mots que les Français veulent tous entendre : « La loi est au-dessus de la foi. » Tout simplement. Or il ne le dit pas aussi clairement. Depuis des siècles, la République a demandé aux chrétiens et aux juifs de s'inscrire dans le cadre de ses lois, il faut faire de même aujourd'hui avec les musulmans. Pourquoi peut-on se marier religieusement dans certaines mosquées sans être d'abord marié civilement ? Les Français voient des dérives que le politiquement correct essaie de taire : la polygamie de fait, le non-respect de l'égalité femmes-hommes, le port du voile parfois forcé par la pression sociale et l'absence des femmes dans la rue passé une certaine heure dans certains quartiers comme un couvre-feu qui ne dit pas son nom. Ce ne sont pas les valeurs de la République.
Le président de la République a redit lors du Congrès son ambition sur les sujets régaliens…
Son logiciel politique n'est pas assez ferme sur le volet sanction. Condamner ne suffit pas. Le problème est celui de la non-exécution des peines. Ralentir la construction de nouvelles places de prison est un contresens politique, qui contribue au sentiment d'impunité et qui entretient la délinquance. Il va falloir lever le tabou de la différentiation des détenus : construire des prisons de haute sécurité avec cellules individuelles pour les prisonniers radicalisés et les plus dangereux, ne pas les laisser au contact des autres pour éviter le prosélytisme islamiste et le phénomène de l' « école du crime ». En revanche, on peut envisager des prisons à sécurité allégée pour les primo-condamnés, avec une insistance pour les programmes de formation et de réinsertion. Il est trop difficile d'avoir un diplôme ou un travail en prison, et c'est regrettable. Nous devons éviter la récidive par la formation. Une droite humaniste, c'est une droite de la deuxième chance.
Que signifie se réclamer d'une droite humaniste ?
Une droite sociale, de la deuxième chance, de l'égalité femmes-hommes, de l'ascenseur social. La politique, c'est d'abord une question d'épaisseur humaine, d'empathie. Je sais que les Français sont prêts à s'engager dès lors qu'on les associe à un projet collectif d'espoir, que la droite doit à nouveau susciter.
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