La présidente de la région Ile-de-France prône un déconfinement « très progressif et différencié selon les régions ». Elle dévoile, dans une interview aux « Echos », sa stratégie de relance post-coronavirus, des hôpitaux au bâtiment en passant par le numérique, les TPE et les start-up.
Emmanuel Macron a-t-il été à la hauteur, lundi soir ?
Le président a reconnu des erreurs et c’était un discours de vérité attendu par les Français. Cette vérité, il faut continuer à la dire : il ne faut pas tout attendre du 11 mai. Tout ne va pas revenir d’un seul coup à la normale. Le déconfinement devra être très progressif et différencié selon les régions. La situation n’est pas la même partout. En Ile-de-France, en temps normal, 5 millions de personnes prennent chaque jour les transports en commun. Cela ne pourra évidemment pas reprendre du jour au lendemain.
Concrètement, quel déconfinement préconisez-vous ?
Il y a un immense champ de réflexion à ouvrir. Si l’on veut une reprise progressive du travail, il faudra que les conditions soient réunies dans les entreprises, ce qui suppose pour elles un équipement massif en gants, masques et gel hydroalcoolique, ainsi qu’une politique de tests et de quarantaine à laquelle la région est prête à prendre toute sa part. En outre, porter des masques dans les métros ou les bus ne suffira pas ; il faudra qu’ils ne soient pas saturés. Cela impose de réorganiser tout le travail. Je n’imagine pas le déconfinement sans une poursuite massive du télétravail pendant plusieurs semaines, là où c’est possible. Même chose pour les écoles : il faudra réguler la journée de travail avec des horaires différenciés pour l’arrivée des enfants, un dédoublement des classes ou des horaires allégés.
Réclamez-vous que le déconfinement soit laissé aux régions ?
Ce que je souhaite, c’est que l’Etat et les régions gèrent le déconfinement la main dans la main. L’Etat y a tout intérêt. Dans cette période de crise où l’hyper-réactivité est nécessaire, les régions ont eu plus d’agilité que l’Etat. La crise a mis en évidence les limites de notre suradministration, avec des procédures et des règles très lourdes et parfois contradictoires – on l’a vu sur la gestion des masques. En Ile-de-France, nous en avons distribué plus de 10 millions en quinze jours pour les soignants, les Ehpad et ceux qui exercent des fonctions essentielles au pays. La crise a aussi montré les limites de l’hypercentralisation. On ne peut pas traiter tous les territoires de la même manière quand la crise ne les touche pas de la même manière. Les régions ont à la fois la puissance, la vision d’ensemble et la proximité. Elles sont un échelon de coordination indispensable. Et, pour reprendre la formule d’Emmanuel Macron, elles n’ont pas attendu pour « se réinventer ».
Le plan de relance de l’Etat n’est pas suffisant à vos yeux ?
L’Etat veut amortir le choc par une politique très forte d’aide aux entreprises et de chômage partiel. Cette politique, je l’approuve. Mais, d’ores et déjà, on voit qu’il a du mal à prendre en compte toutes les situations. Les régions doivent être le filet de sécurité de tous ceux que l’Etat laisse passer entre ses mailles. Je suis aussi en train de lancer une campagne d’appel à tous les décrocheurs scolaires pour les réorienter. L’Etat ne peut pas faire ça.
Comment envisagez-vous la relance régionale ?
Il faut à la fois organiser, à court terme, la résistance à la crise sanitaire et, pour l’avenir, la résilience. D’abord, une stratégie industrielle et de relocalisation des productions de souveraineté est indispensable. La région sera là – une aide de 800.000 euros est déjà en place –pour rapatrier les productions locales de tests, respirateurs, masques ou visières de protections… Ensuite, il va falloir soutenir massivement le secteur de la santé et l’hôpital. Les régions y sont prêtes. Un volet entier du contrat de plan Etat-régions devrait y être consacré. Tous les investissements doivent être en outre concentrés sur des projets écologiques et numériques – il sera nécessaire d’accélérer encore la digitalisation : télétravail, téléenseignement, télémédecine. Enfin, il va falloir faire repartir tout un écosystème d’entreprises essentiel mais fragile : les TPE, les commerces, les services de proximité et les start-ups qui ont peu de capital social et qui ont beaucoup de mal à faire des emprunts. L’Ile-de-France mettra en place, pour elles, une aide spécifique sous forme d’avances remboursables.
Quid du bâtiment ?
Le secteur de la construction devra être, lui aussi, un pilier de la relance. J’y suis très vigilante. A cet égard, le fait que 5.000 maires de villes moyennes ou grandes n’aient pas été élus fait peser une incertitude sur la commande publique. Si le second tour des municipales ne pouvait pas se tenir très rapidement, la solution pourrait être de déclarer certaines opérations d’aménagement d’intérêt régional.
Le chef de l’Etat a promis une « aide exceptionnelle » aux « familles les plus modestes » et aux « étudiants les plus précaires ». Que souhaitez-vous ?
C’est indispensable. La région va d’ailleurs le faire dans son domaine, pour les familles des lycéens boursiers. Avec le confinement, les enfants ne mangent plus à la cantine et les forfaits internet ont besoin de plus gros débits, ce qui crée un surcout problématique pour beaucoup de familles. La région prépare une mesure d’aide financière à leur attention.
Faudrait-il, selon vous, que les Français travaillent plus longtemps après le déconfinement ?
De nombreux salariés souhaitent reprendre le travail, dès lors que c’est dans de bonnes conditions. Le premier sujet est donc de savoir si les entreprises sont prêtes à les équiper de matériel de protection – la région va les y aider, dès maintenant grâce à sa centrale d’achat, à laquelle ils peuvent avoir accès. Nous allons aussi devoir affronter une montée forte du chômage et, avec elle, de la pauvreté. Dans ce contexte, faire de la hausse du temps de travail une priorité me parait assez maladroit.
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