Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, s’attend à un déconfinement « très progressif et différencié ». Elle estime que la sortie de crise sera plus longue et plus compliquée dans les régions les plus touchées et les plus urbanisées. Et que les régions, mobilisées dans l’urgence face à la crise sanitaire, auront un rôle majeur à jouer dans la relance du pays.
Valérie Pécresse est la présidente de la Région Ile-de-France et la fondatrice du mouvement politique Libres ! Mobilisée face à la crise sanitaire, elle a pris différentes initiatives dans l’urgence, comme l’achat et la distribution de masques et de tests, la création d’une centrale d’achat pour approvisionner les entreprises de sa région, la mise en place d’aides exceptionnelles aux particuliers, aux associations, aux PME… La réouverture progressive des écoles et la remise en route des transports en commun posent de nombreuses questions, auxquelles Valérie Pécresse a accepté de répondre pour Ouest-France. Elle plaide par ailleurs pour que l’État donne plus de pouvoir aux régions à l’issue de la crise. Les événements et la façon dont elles y ont fait face démontrent qu’elles constituent un échelon stratégique indispensable pour l’efficacité de l’action publique », estime-t-elle.
Comment résumeriez-vous ce que vous avez vécu et eu à gérer depuis le début de la crise ? Quatre mots me viennent à l’esprit. Choc. Impréparation. Adaptation. Débrouillardise. Choc d’abord, parce que l’arrivée de cette épidémie en a été un. Ce fut d’une très grande violence, particulièrement dans ma région, et nous avons tous été pris par surprise. Impréparation parce que le pays n’était vraiment pas préparé à cela. Adaptation ensuite, et c’est mon sentiment le plus fort, parce que j’ai particulièrement ressenti le besoin de s’adapter, de réagir, de surmonter les normes, les lenteurs des procédures habituelles pour se montrer agile et trouver des réponses adaptées à chaque problème. Débrouillardise, enfin, avec toute l’inventivité des citoyens. Ceux qui ont des imprimantes 3D ont fourni spontanément des visières de protection, les couturières ont fabriqué des masques et des surblouses, les professeurs ont continué à faire cours à distance… Cette crise est porteuse de menaces mais aussi de beaucoup d’espoirs. Qu’est-ce qui a été le plus difficile ? Nous avons agi en mode commando, créé une équipe pour dégoter des masques, du gel, des blouses, des gants. Nous sommes allés jusqu’en Chine. Le Conseil régional a pu déjà livrer plus de 10 millions de masques aux soignants, aux Ehpad, aux collectivités et aux associations humanitaires. Ils s’ajoutent à ceux distribués par l’État, ce qui nous a permis d’approvisionner les pharmacies en masques pour les personnes malades et fragiles face au Covid. Pour tous les acteurs de la Région publics et privés, nous avons ouvert une centrale d’approvisionnement pour qu’ils équipent leurs salariés.
Avez-vous été victime d’arnaques, comme d’autres ? Non. L’aide des Franco-chinois d’Ile-de-France nous a été précieuse. Nous les avions soutenus avant que ne débute la crise, défendus contre les attaques racistes dont ils faisaient l’objet et ils se sont mobilisés en retour. Ils nous ont aidés à identifier des fournisseurs fiables, demandant des échantillons avant les commandes.
Dans quels autres champs d’action la Région est-elle intervenue en complément de l’action de l’État ? Nous avons mis à disposition nos 9 000 places d’internat pour l’hébergement d’urgence des sans-abri. Nous sommes également en train d’acheter des tests en grand nombre, ce qui nous permettra de doubler les tests pratiqués dans nos Ehpad, en complément de ceux fournis par l’État. Et nous soutenons nos entreprises, tout particulièrement les TPE-PME. L’État intervient auprès des grands groupes, mais il lui est beaucoup plus difficile de suivre les petites entreprises, les artisans, les commerçants, les associations en général, dont celles du secteur culturel ou de l’économie sociale et solidaire. Nous, les régions, nous les connaissons, et c’est vers nous qu’elles se tournent pour obtenir une aide adaptée à leurs difficultés.
Quelles questions se posent à vous pour l’organisation du déconfinement ? Le déconfinement sera nécessairement progressif et différencié selon les régions. Ce sera plus compliqué et plus long dans les régions très touchées et très urbaines, comme l’Ile-de-France. Le 11 mai ne sera pas synonyme de retour à la normale partout : c’est un point de départ. Il va falloir continuer à adapter nos comportements région par région et faire preuve de discipline.
Comment les choses vont-elles se passer dans les transports en commun ? J’ai demandé au Gouvernement de rendre les masques obligatoires dans les transports en commun, et je l’ai demandé avec force. On ne pourra pas redonner confiance aux Français sans cela. Près de 5 millions de personnes empruntent les transports en commun chaque jour en région parisienne, avec des rames où l’on peut trouver jusqu’à 5 personnes par m2 alors que les règles de distanciation recommandent une personne par m2. Dans les grandes agglomérations, il faudra continuer le télétravail au maximum. Et pour les lycées, gérés par la Région ? Nous avons 670 lycées et plus de 500 000 lycéens. Pour eux non plus, je n’imagine pas une reprise d’un coup, avec plus de 30 élèves par classe dès le 11 mai. Ce serait contraire aux recommandations de l’Inserm, qui prône une réduction très forte des effectifs scolarisés. Nous travaillons avec l’Éducation nationale sur le sujet, pour repartir sur des demi-journées de cours, en demi-groupes. Il faudra se fixer des priorités dans le retour à l’école, en réintégrant d’abord les lycéens et collégiens perdus de vue par leurs professeurs pendant le confinement. La Région lance une campagne à l’attention de ces décrocheurs – environ 10 % des élèves. L’Éducation nationale nous donne la liste et nous les appellerons un par un pour faire un point sur leur situation, préparer leur reprise ou envisager leur réorientation vers une école de la deuxième chance ou un apprentissage.
Que ferez-vous pour les cantines ? Imposer aux restaurants de rester fermés tout en rouvrant les cantines, sans aménagement, n’aurait aucun sens. Il va falloir trouver le moyen de faire respecter les distances et les gestes barrières à l’école. Nous allons procéder à la désinfection totale de tous les lycées avant la rentrée et nous équiperons tous nos agents de masques. L’État devra en fournir aux enseignants et aux élèves. Nous allons également verser une aide aux familles de nos lycéens boursiers, contraints à des dépenses supplémentaires pour se nourrir en l’absence de restauration scolaire.
Qu’est-ce que tout cela changera, à plus long terme ? Nous nous préparons à une crise économique et sociale, avec un grand nombre de faillites, des secteurs entiers sinistrés et des centaines de milliers de personnes au chômage dans le tourisme, l’hôtellerie, la restauration, le sport, la culture, l’économie sociale et solidaire, les associations… La relance sera très complexe, très longue et très difficile. Les plus optimistes n’envisagent pas de retour à la normale avant la mi-2021. Le plan de relance économique que le Gouvernement prépare, et auquel les régions sont associées, sera crucial. Ce doit être un plan de résilience. L’occasion de reconstruire un système de santé beaucoup plus solide, fondé sur des partenariats entre hôpital public, cliniques privées et médecins libéraux, avec une implication beaucoup plus forte des régions. Une relance fondée sur l’écologie aussi et la sobriété en consommation de ressources. Pour que de cette crise sorte un bien pour le pays. Et que nous nous relevions plus forts.
Quel rôle tiendront les régions dans cette relance ? Il sera majeur. Les régions sont de vrais réducteurs d’inégalités, des acteurs clefs de la protection, avec des élus tout-terrain armés pour agir dans l’urgence. Cette crise le démontre alors que l’État jacobin y a révélé des failles et ses limites. L’État doit accepter de lâcher prise, nous donner plus de souplesse et avancer vraiment dans la voie d’une nouvelle décentralisation. Pour que les chantiers redémarrent plus rapidement, il faut que les commandes publiques puissent être passées plus facilement. Dans l’urgence, nous avons donné 1 million d’euros à l’Inserm pour ses recherches. Nous avons créé un fonds « PME Covid » pour encourager la réindustrialisation, avec des aides pouvant aller jusqu’à 800 000 € pour les petites entreprises qui se mettront à produire des masques, des tests ou des respirateurs. Nous devrions pouvoir sortir de nos compétences pour répondre aux besoins. Chaque territoire va nous transmettre le nom de ses entreprises les plus en difficulté. Les Ehpad peuvent nous contacter un par un. Nous sommes au chevet des plus petits et des plus précaires, en proximité. Nous sommes l’échelon stratégique indispensable pour l’efficacité de l’action publique.
Que pensez-vous de l’idée d’un nouveau Gouvernement « d’union nationale » ? J’observe un esprit d’unité assez remarquable au niveau du conseil régional, avec des délibérations prises à l’unanimité sur la plupart des sujets. C’est assez unique et j’aimerais que cela se poursuive après la crise, parce que le pays va être à genoux. Cette unité est une force, la conserver nous permettra d’être plus efficaces dans la relance du pays. Il y a toute une série de décisions qui peuvent faire l’objet d’un consensus, à condition d’associer tout le monde. L’Allemagne le fait avec ses Länder, et c’est probablement la raison principale pour laquelle elle s’en sort mieux que nous. L’État fédéral a pris le temps de concerter vraiment ses régions pour élaborer une stratégie de déconfinement et la réouverture des écoles. C’est une force de réussir à se mettre tous autour de la table pour prendre des décisions ensemble, dans la coconstruction et la cogestion avec les élus locaux. Je crois bien plus à cela qu’à un mouvement qui chercherait à abolir les frontières politiques. La crise ne gommera pas nos différences de vues, ce qui n’est pas souhaitable. Cela pourrait même être dangereux, en faisant monter les extrêmes.
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