Propos recueillis par Alexandre Sulzer pour l'Express
La présidente (LR) de la Région Ile-de-France appelle Macron à l'audace réformatrice, tout en affûtant ses armes.
L'affaire Benalla marque-t-elle un tournant dans le quinquennat d'Emmanuel Macron ?
L'affaire Benalla est grave, parce qu'elle révèle deux choses. D'une part, une forme de défiance, au plus haut sommet de l'Etat, vis-à-vis de la police et de la gendarmerie, qui risque de miner gravement les relations entre l'Etat et ses forces de l'ordre. D'autre part, une forme d'enfermement élyséen. Il ne suffit pas de dire que l'on est responsable et que l'on assume, comme l'a fait Emmanuel Macron. La page ne sera véritablement tournée que lorsqu'il y aura eu une reconnaissance présidentielle de ces fautes.
"L'enfermement élyséen" découle-t-il de l'exercice du pouvoir ?
Je crois que le risque d'enfermement est inhérent à la fonction présidentielle. Je l'ai constaté, y compris quand nous étions au pouvoir. Je pense qu'il faut s'en prémunir en permanence. Et pour cela, rien de tel que le dialogue avec un certain nombre de forces vives et d'élus de terrain. De ce point de vue, je déplore la façon dont le gouvernement a traité les collectivités locales ou les syndicats. Il y a aujourd'hui une volonté de se passer des corps intermédiaires qui se traduit par une confiance excessive dans la technostructure administrative. Laquelle n'a pas toujours la fibre humaine suffisante pour traiter les problèmes. On l'a observé lors de la suppression des contrats aidés ou du débat sur les pensions de réversion.
Dans les derniers sondages, on observe qu'Emmanuel Macron a décroché chez les sympathisants de droite. Comment comptez-vous en profiter ?
La cote de confiance d'Emmanuel Macron, y compris à droite, venait du fait qu'il réformait et qu'il incarnait la fonction présidentielle. Désormais, dans l'opinion, un doute s'est insinué quant à sa conception de l'exercice du pouvoir et à sa capacité réformatrice. Fondamentalement, je ne crois pas qu'il y ait un nouveau et un ancien monde. Pour moi, il y a les idées anciennes et les idées neuves.
C'est pour cela que je veux faire de l'Ile-de-France un laboratoire. J'avance sur deux pieds. Par des actes dans ma région et par des idées pour mon pays. De ce terrain d'expérimentations qu'est l'Ile-de-France, je souhaite extraire des solutions transposables pour le pays. Par exemple, je travaille beaucoup sur la question de la seconde chance. En France, il n'y a pas de possibilité de se relever d'un échec. Je veux que la droite incarne la seconde chance, c'est-à-dire la possibilité d'aider ceux qui sont tombés à se relever. C'est pour cela que la Région Ile-de-France a mis en place une aide de 1000 euros pour aider les Franciliens à repasser le bac et à reprendre leurs études à n'importe quel âge.
Accorderez-vous une seconde chance à Emmanuel Macron ?
Je suis dans une logique de faire et de construire. C'est pourquoi j'ai soutenu la réforme de la SNCF, du droit du travail, de la sélection à l'entrée de l'université. Dès que les mesures iront dans le bon sens, je les soutiendrai. Mais ce que je ne soutiendrai pas, c'est l'absence d'audace réformatrice. Je serai toujours là pour rappeler que l'autorité de l'Etat doit être réaffirmée partout, et que la solidarité et la cohésion de la Nation sont de la responsabilité du président de la République.
Au-delà d'un mea culpa, quels actes attendez-vous d'Emmanuel Macron à la rentrée ?
Il faut compter trois ans pour que les réformes entrent en vigueur et portent leurs effets. La rentrée 2018 est la dernière efficace du quinquennat, celle au cours de laquelle il est encore temps de prendre des décisions dont l'impact sera visible d'ici à 2022. Ce doit être la rentrée du sursaut en matière d'autorité, de pouvoir d'achat et de solidarité. Sur ces trois sujets, il y a besoin, non seulement de paroles, mais aussi d'actes forts.
Un sursaut d'autorité... Pourtant Emmanuel Macron est plutôt bien perçu à droite pour sa pratique verticale du pouvoir.
Au bout d'un an, la qualité de la forme ne peut plus faire oublier les faiblesses d'un certain nombre de décisions. En matière de justice, Emmanuel Macron reste laxiste. Par exemple, il s'en remet beaucoup trop au bracelet électronique. Il donne un signal d'impunité aux délinquants, qui peuvent ainsi rester, après leur condamnation, dans les quartiers dont ils pourrissent la vie. Il ne faut pas avoir peur de revendiquer la privation de liberté comme une sanction, mais cela suppose d'avoir un vrai plan de construction de prisons.
On a aussi besoin de rétablir l'autorité de la loi face au risque communautariste et religieux. Dans certains quartiers, la loi religieuse est en train de devenir plus forte que celle de la République. Je le redis, pour moi, la loi doit être au dessus de la foi. On a le sentiment que le président de la République sous-estime le risque du repli communautariste et d'éclatement de la société française.
En matière d'immigration enfin, des paroles fortes ont été prononcées vis-à-vis des étrangers en situation irrégulière. Mais où sont les actes ? Que sont devenus les migrants expulsés du camp de la Chapelle, à Paris ? J'ai demandé au ministre de l'Intérieur de publier chaque mois les statistiques de reconduite à la frontière. En matière d'immigration irrégulière, les Français perçoivent une impuissance qui nourrit tous les populismes. Emmanuel Macron est prisonnier des élus LREM qui sont très majoritairement à gauche. On l'a vu au moment de l'examen au Parlement de la loi Asile et Immigration, lorsque son groupe n'a pas accepté l'amendement du Sénat selon lequel les tarifs sociaux pour les transports ne pourraient plus être accordés aux étrangers en situation irrégulière. La France est le seul pays au monde où ne pas respecter la loi du pays donne des avantages sociaux.
Vous parlez d'un sursaut de pouvoir d'achat. Comment ?
L'overdose fiscale de François Hollande ne s'est pas du tout dissipée avec Emmanuel Macron. Au contraire. Il a augmenté la CSG, les taxes sur le gasoil... Les classes moyennes, qui attendaient une libération des énergies, se retrouvent avec un matraquage fiscal aggravé. Avec le prélèvement à la source, les Français vont s'apercevoir de tout ce qu'ils paient en impôts. Je pense que cela va provoquer une rébellion du pouvoir d'achat.
A Libres ! [le mouvement créé par Valérie Pécresse], nous travaillons sur la possibilité de rendre plus désirables les réformes, en mettant davantage en valeur leurs bénéfices. Par exemple, sur les retraites, si l'on demande aux Français de travailler jusqu'à 65 ans - et un jour, soyons clairs, avec l'augmentation de la durée de vie, il faudra le leur demander-, il faudra en contrepartie baisser les cotisations retraite. Les Français gagneraient alors en salaire net et ils verraient l'intérêt de travailler plus longtemps. Il faut faire cela pour l'assurance-maladie, l'assurance-chômage... Une réforme ne doit pas seulement se traduire par moins de droits, mais aussi par plus de salaire. Réformes contre pouvoir d'achat : c'est le bon équilibre.
Vous prônez un "sursaut de solidarité". Que préconisez-vous ?
J'ai fait toute ma campagne régionale sur la thématique des fractures. L'Ile-de-France est la région la plus prospère de France, mais aussi celle de toutes les inégalités. Et aujourd'hui, c'est le pays tout entier qui est fracturé. Les territoires ruraux se perçoivent comme les laissés-pour-compte d'une politique qui privilégie uniquement les métropoles ; les quartiers populaires sont frustrés après l'abandon du plan Borloo pour les banlieues. La phrase d'Emmanuel Macron sur les "deux mâles blancs" [Jean-Louis Borloo et lui] qui ne pouvaient pas régler les problèmes des banlieues était terrible.
Moi, je suis une "femelle blanche" et je revendique d'avoir un regard sur la banlieue et de vouloir y recoudre le tissu social. Il faut se donner dix ans pour détruire les quartiers-ghettos. Il faut instaurer un plafond "anti-ghetto" à 30% de logements sociaux maximum pour assurer la mixité sociale. J'applique déjà cette règle dans ma région. Mon intuition trouve un écho inattendu dans la politique du gouvernement danois. Il a décidé de détruire tous les grands ensembles, de ne plus avoir plus de 30% de logements sociaux dans un quartier. Il va même plus loin : il a décidé de limiter à 30% le pourcentage d'élèves issus de l'immigration dans une école et de doubler les sanctions pénales pour toutes les infractions commises dans les quartiers sensibles.
Est-ce applicable en France ?
Au moins, ils ne baissent pas les bras ; et pourquoi se priver d'expérimenter ces solutions nouvelles ? En ce qui concerne la ruralité, je pense qu'il faut un vrai pacte de solidarité, qui lie les métropoles aux territoires ruraux qui les entourent. Ce partenariat n'est pas porté actuellement, ni par Emmanuel Macron ni par ceux qui, à droite, semblent opposer la ruralité aux villes. Nous avons besoin de cohésion, de rassemblement. Il faut qu'on arrête de cliver et d'opposer les uns aux autres. Sinon, les tensions sociales du pays s'aggraveront et nourriront tous les populismes.
Comment allez-vous vous engager concrètement dans la campagne des européennes ?
J'ai présenté avec Libres ! un programme clef en main, "Patriotes et européens, pour une France forte dans une Europe puissante". Face à la Chine, aux Etats-Unis, à la Russie, au terrorisme et aux flux migratoires, il n'y a pas d'autre solution que de sauver l'Europe et de la renforcer. Il y a actuellement une tentation d'accuser l'Europe de tous les maux. J'ai été extrêmement choquée d'entendre Matteo Salvini [le ministre italien de l'Intérieur] dire que l'effondrement du viaduc de Gênes était de la faute de l'Europe.
On ne peut pas accuser l'Europe de toutes nos lâchetés et de notre manque de courage. Si nous avons des problèmes de déficit excessif, de dette, de matraquage fiscal, ça n'est pas la faute de l'Europe. En Italie, comme en France, il est urgent de baisser les dépenses de fonctionnement de l'Etat, ce qui n'a pas été fait depuis un an, pour rétablir notre capacité d'investissement.
Y a-t-il dans votre propre parti politique la tentation d'accuser l'Europe de tous les maux ?
Il y a eu une tentation de casser l'Europe. Certains, chez Les Républicains (LR), ont appelé à revenir à une Europe à six et à élaborer un nouveau traité. Cette tentation est derrière nous. Les eurosceptiques ont compris que dans le monde chaotique dans lequel nous vivons, l'Europe représente notre seul rempart. J'attends de LR des gestes permettant aux pro-européens de droite de se reconnaître dans son projet et dans sa liste pour l'élection de 2019. C'est indispensable, au risque, sinon, de laisser à Emmanuel Macron le monopole de l'engagement européen.