Moins de deux semaines avant un conseil national de LR sur le sujet, la présidente de la région Ile-de-France dévoile dans l’Opinion sa vision de l’Union européenne
Les Républicains sont-ils encore un parti pro-européen ?
L’engagement européen est dans l’ADN de la droite qui est la mienne, une droite gaulliste à l’origine d’un certain nombre de grandes avancées européennes. De toutes les façons, nous n’avons plus le choix. Sans l’Europe, on n’existera pas face à Trump, la Chine, Poutine… Comme je suis gaulliste, je veux que la France soit forte, puissante et pèse sur le cours des choses. Sans l’Europe, nous ne pourrons devenir ce que nous devons être. Etre patriote, c’est donc être européen. C’est pourquoi à Libres !, nous avons appelé notre projet : « Patriotes et européens, pour une France forte dans une Europe puissante ». Ceux qui sont aujourd’hui eurosceptiques se trompent, ils refusent de voir ce que l’Europe peut nous apporter. Les Britanniques en font l’amère expérience.
La crise de confiance envers l’Europe est profonde. Comment y répondre ?
Si l’Europe a une part de responsabilité, nous ne pouvons pas accuser celle-ci de toutes nos lâchetés et de toutes nos erreurs. L’Europe apparaît tatillonne, bureaucratique, absurde avec ses normes et règles qui nous pourrissent la vie mais la bureaucratie est d’abord chez nous. Quand une directive européenne sort, les Allemands, les Danois, les Espagnols ne la surtransposent pas ! Si l’Europe est devenue ce qu’elle est, si on a le sentiment qu’elle nous impose ses réformes, si on a abouti à ce que le système européen soit contesté par des millions de Français, c’est qu’en amont, nous n’avons pas suffisamment pesé sur le cours des choses. Aujourd’hui, l’Europe est allemande et – ce n’est pas le moindre des paradoxes – britannique. En matière de concurrence, de commerce, ses positions ne sont pas les nôtres. L’influence française n’a fait que décliner au sein des instances européennes. Combien y a-t-il de directeurs généraux français à la Commission ? Pourquoi n’a-t-on pas forcé les énarques à faire un passage à Bruxelles ? Il ne faut pas s’étonner que, dans ces conditions, les directives ne soient pas conformes à notre vision du monde. Nous n’avons pas eu une stratégie d’influence en Europe. Or, le projet européen est vital pour notre souveraineté, notre indépendance, la protection de nos frontières, nos valeurs, nos modes de vie, nos emplois. Réinvestissons-le, débureaucratisons, engageons-nous à n’ajouter aucune norme aux directives européennes et rendons aux Etats, qui les exerceraient mieux, les compétences que l’Union s’est abusivement appropriées.
«Je suis totalement contre le rétrécissement de l’UE et l’Europe des cercles concentriques. Mais l’élargissement n’est pas plus responsable»
Que proposez-vous pour relancer le projet européen ?
D’abord, je suis totalement contre le rétrécissement et l’Europe des cercles concentriques. Certains veulent qu’on revienne à six Etats membres. Mais qui sont les six ? On met l’Italie dedans, elle n’y est plus ? Et l’Espagne, elle y est, elle n’y est pas ? Que faisons-nous des grands pays de l’Est ? On considère que leur adhésion était une erreur ? Le Portugal, on le rejette, on l’accepte ? Aujourd’hui, vouloir refaire un noyau dur, c’est détruire le projet européen. Mais si le rétrécissement n’est pas réaliste, l’élargissement n’est pas plus responsable. Nous avons avant tout besoin de refonder l’Europe à 27. Evitons aussi de la scinder en deux. Il ne faut pas d’un côté la zone euro avec un deuxième Parlement élu et, de l’autre, l’Europe à 27 avec un Parlement de l’Europe à 27. Donner une identité politique à la zone euro, c’est créer un deuxième machin, comme aurait dit le général de Gaulle, c’est créer deux Europe avec les deux bureaucraties ! A Libres !, nous ne sommes pas pour le bing bang institutionnel. L’Europe n’est pas en état aujourd’hui d’adopter un nouveau traité. C’est mettre le doigt dans une mécanique incontrôlable qui mobiliserait tous les anti-européens. Ceux qui veulent réenchanter l’Europe doivent donc réenchanter l’Europe à 27. Ce n’est peut-être pas révolutionnaire mais c’est la seule voie réaliste. Ce qu’il faut, ce n’est pas plus ou moins d’Europe, c’est mieux d’Europe, c’est une politique qui donne envie d’être européen.
« Mieux d’Europe », qu’est-ce que ça veut dire ?
Il faut promouvoir le mode de société européen, sa culture, ses valeurs comme un objet de puissance en matière géopolitique, stratégique, économique. Cela suppose de construire une Europe de la défense, de redéfinir et protéger nos frontières, d’avoir une politique commerciale offensive, un patriotisme européen et une politique agricole commune modernisée avec un mécanisme assurantiel comme les Américains, de favoriser les coopérations renforcées dans le domaine de l’intelligence artificielle ou du véhicule autonome, dont dépend l’avenir de l’industrie européenne, et particulièrement française. Mieux d’Europe, c’est construire des champions européens. Pour cela, il faut arrêter de faire de la politique de la concurrence intra-européenne l’alpha et l’oméga. Faire vendre des actifs stratégiques de sociétés européennes à des Chinois ou des Américains parce que Bruxelles dit qu’il y a un risque de situation monopolistique au sein de l’Europe, c’est se tirer une balle dans le pied. La brutalité d’un Donald Trump nous ouvre les yeux, tout comme l’inquiétude suscitée par les géants chinois aidés par le dumping social et environnemental. La question d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe, qui permettrait de renchérir les produits « low cost », doit être posée. Il existe un modèle environnemental européen qui protège la santé des habitants et l’avenir de la planète, nous devons nous battre pour l’imposer au niveau international. Mieux d’Europe, enfin, cela passe par un changement de comportements d’un certain nombre d’Etats membres qui cherchent à profiter de l’Europe au détriment des autres. Le dumping fiscal et social au sein même de l’Europe n’est plus acceptable.
«Nous proposons une taxe sur les visas des non-Européens afin de tripler les effectifs de Frontex et avoir un vrai corps de gardes-frontières européens. Par ailleurs, si on n’aide pas l’Afrique à résoudre ses problèmes, ses problèmes se déplaceront chez nous»
Que faire sur la question des migrants, qui suscite tant de tensions actuellement au sein de l’Europe ?
La désaffection pour l’Europe doit beaucoup au manque de stratégie commune en matière d’immigration. Les accords de Schengen et le règlement de Dublin doivent être revus. Un Etat ne doit pas pouvoir être membre de Schengen s’il n’est pas capable d’assurer le contrôle efficace de ses frontières et n’a pas de centre d’accueil de migrants où ceux-ci soient orientés ou reconduits dans leur pays au cas par cas. Concernant Dublin, il faut une liste européenne commune des pays d’origine sûrs dont les ressortissants ne pourront, sauf cas exceptionnel, obtenir l’asile. L’expression « shopping de l’asile » a pu choquer, mais c’est une réalité. Les demandeurs d’asile savent bien qu’ils doivent aller dans certains pays plutôt que dans d’autres pour pouvoir ensuite se déplacer sur l’ensemble du territoire européen. Nous proposons également une taxe sur les visas des non-Européens afin de tripler les effectifs de Frontex et avoir un vrai corps de gardes-frontières européens. Il faudra enfin renégocier les accords du Touquet : les Britanniques devront prendre une part plus importante des migrants sur leur sol. Au cœur de la campagne européenne de 2019, il y aura un sujet phare : le partenariat privilégié que l’Europe doit nouer avec l’Afrique. L’Europe n’y est pas aujourd’hui suffisamment active. Elle doit investir massivement pour sécuriser le continent africain, lutter contre les crises alimentaires, climatiques, permettre l’accès à l’eau, à l’électricité, à l’éducation… Si on n’aide pas l’Afrique à résoudre ses problèmes, ses problèmes se déplaceront chez nous.
Etes-vous favorable à une force européenne de défense ?
Comment être profondément européen si l’Europe n’assure pas notre protection, alors que les menaces sont partout à nos portes ? Il faut une défense européenne à laquelle tous les Etats doivent contribuer obligatoirement. Cela doit être un point non négociable. Ce n’est pas le rôle de la France de protéger toute l’Europe.
«La droite de gouvernement ne pourra pas faire une campagne européenne uniquement en étant critique sur ce qui ne fonctionne pas, en se contentant d’être dans le “bashing”. Elle doit aussi dire comment faire de l’Europe un leader mondial»
« Soit l’Europe protégera, soit elle disparaîtra », écrivait Laurent Wauquiez dans Le Figaro, le 5 juin, accompagné des présidents des groupes parlementaires LR. Diriez-vous la même chose ?
Il est évident que l’Europe doit protéger. Mais elle doit aussi conquérir. Il ne faut pas être dans une position défensive. C’est un point fort pour moi. Nous avons en nous les atouts pour être les meilleurs. Il faut retrouver confiance. La droite de gouvernement ne pourra pas faire une campagne européenne uniquement en étant critique sur ce qui ne fonctionne pas, en se contentant d’être dans le bashing. Elle doit aussi dire comment faire de l’Europe un leader mondial. Bien sûr, il faut défendre nos valeurs de civilisation, les racines chrétiennes de l’Europe, mais il faut aussi se projeter. Le rêve européen est d’être à l’égal des grandes puissances.
Qu’est ce qui vous différencie d’Emmanuel Macron sur ce sujet ?
Je ne mets pas en doute son engagement européen mais je ne suis pas pour une Europe fédérale. D’ailleurs nos peuples n’en veulent pas. Je suis contre tout transfert de souveraineté supplémentaire, contre tout élargissement et contre un Parlement de la zone euro.
Irez-vous au conseil national des Républicains sur l’Europe, le 30 juin ?
Bien sûr. J’ai des idées à défendre.
Qui serait la bonne tête de liste pour LR aux européennes ? Nicolas Sarkozy estime que c’est à Laurent Wauquiez de mener le combat. Et vous ?
Laurent Wauquiez n’a pas l’air intéressé. Je choisirais en tête de liste un Européen ou une Européenne convaincu, défendant un projet pour réformer l’Europe à 27. Il faudra aussi faire attention à la sélection des candidats sur la liste. Emmanuel Macron a imposé une ouverture de la vie politique à la société civile. C’est une bonne chose. Il faut que sur la liste LR figurent des agriculteurs, des chercheurs, des entrepreneurs… spécialistes des politiques européennes. Ils doivent savoir négocier et parler anglais. On peut le regretter, mais l’anglais est un outil majeur d’influence car c’est la langue utilisée en dehors des séances. Il faut maintenant que la France pèse vraiment.